L’ACCÈS AU MONDE
On entend répéter que la voie est barrée, que tout a été peint, et qu’on ne peut plus ouvrir les yeux sur un lieu du monde sans le percevoir à travers ce que l’art en a déjà dit. Ou encore que le délabrement, la mise en coupe réglée ont pris le dessus sur la nature, et qu’il n’est désormais de vérité qu’à dénoncer cette violence, par la surenchère ou la dérision, en y rajoutant de l’artifice. L’art serait-il donc réduit à devenir l’ensemblier de l’inhabitable ou le modeleur des espaces virtuels ? — Nul veto ne tienne! Nulle résignation ne l’emporte! L’acces au monde n’est pas interdit à nos sens. Tout l’ouvrage récent de Jérôme Bost l’atteste. La terre garde en réserve des «vues» bouleversantes, pour autant qu’un regard veuille en chercher la juste prise, ou consente à se laisser surprendre. Jérôme Bost, dans ses pastels à l’huile, se porte garantd’une attention au visible qui, revenant patiemment sur le«motif», le redéchiffre et le renouvelle. Partout, chez lui, l’épars et le multiple : les broussailles, les sillons, les pierres, les toits. Partout aussi le rassemblement du multiple. L’unité que la terre elle-même sait inventer en Haute Provence. L’unité qu’inscrit le travail humain sur l’assise terrestre et sur l’affleurement du roc fondamental : les sillons réunis dans le champ, les pierres s’entr’épaulant dans le mur, les toits solidaires qui font exister un village. L’unité aussi d’une lumière heureuse qui s’affûte sur l’arête des pierres ou qui enveloppe la rondeur odorante des lavandes. L’unité enfin, sur la surface des tableaux, des signes abstraits et de la présence matérielle, dans l’état naissant du pastel. Jérôme Bost indique la voie d’une réconciliation, qui est celle aussi (commele dit Yves Bonnefoy à son propos) d’«une symbolique consubstantielle à la vie».
Jean Starobinski